la reproduction des orchidées
Reproduction des Orchidées : des stratégies dignes du Pentagone !
Orchidées… Ce nom évoque immédiatement dans l’inconscient des images de forêts luxuriantes et de fleurs exubérantes. Rien à voir a priori avec notre flore locale. Et pourtant de nombreuses espèces de cette prestigieuse famille poussent tout près de nous, et même si elles sont moins imposantes que certaines de leurs cousines tropicales, elles n’en sont pas moins dignes d’intérêt. Et comme les fleurs sont avant tout des organes reproducteurs, c’est lorsqu’il s’agit de perpétuer l’espèce que leur spécificité s’exprime le mieux. Nous allons en voir l’illustration lors d’une phase clé du cycle végétal : la pollinisation.
1 Repères sur la famille des Orchidées.
1.1 Situation par rapport au monde végétal
La famille des Orchidées est une jeune famille si l’on se réfère à l’histoire des Plantes. Les Conifères sont apparus il y a 300 millions d’années environ; les Monocotylédones (dont elles font partie) il y a 100 millions d’années; les Dicotylédones, il y a 150 millions d’années, alors que les plus anciens fossiles d’orchidées connus datent de 15 millions d’années environ. Même si ce chiffre est sûrement sous-évalué, l’évolution de la famille a été très rapide, puisque aujourd’hui elle est présente sur tous les continents, dans tous les milieux, à l’exception des déserts absolus et des étendues arctiques constamment gelées.
On recense 20 000 à 30 000 espèces d’orchidées dans le monde actuellement, et ce nombre augmente continuellement. En France ce ne sont pas moins de 150 à 160 espèces et sous-espèces qui sont identifiées (le nombre dépend de la notion que l’on a de l’espèce et diffère suivant les auteurs), et 42 pour le département des Vosges. Elles occupent tous les milieux possibles, du niveau de la mer aux hautes montagnes, et des garrigues desséchées aux tourbières et autres marais, avec quand même une nette préférence pour les zones les plus chaudes et les sols calcaires.1.2 Caractéristiques morphologiques :
La famille des Orchidées appartient à la classe des Monocotylédones, caractérisées par la présence d’une seule feuille embryonnaire à la germination (= 1 cotylédon), et, critère beaucoup plus pratique sur le terrain, par des feuilles généralement entières, à nervures parallèles. On y trouve également par exemple la famille des Liliacées (Lis, tulipes…) les Iridacées (Iris), les Amaryllidacées (Jonquille) mais aussi les Poacées (=Graminées) ou les Joncs.
Mais qu’est-ce qui permet de différencier une Orchidée d’une autre fleur ? Comparons pour cela le schéma d’une fleur type de Monocotylédone (ici une Liliacée) et celui d’une Orchidée type.
Chez la Liliacée, on trouve successivement, de l’extérieur vers l’intérieur de la fleur : 3 sépales, 3 pétales, 6 étamines (organes reproducteurs mâles) réparties sur 2 verticilles, et enfin au centre un ovaire (organe reproducteur femelle) constitué de trois loges soudées, et surmonté d’un pistil qui porte à son sommet 3 stigmates fertiles. La fleur, régulière, a une symétrie d’ordre 3 (toutes les pièces florales sont présentes en multiple de 3).
Par rapport à ce modèle de base, les Orchidées ont évolué, par la réduction de certains organes et le développement d’autres, vers une symétrie bilatérale (une moitié de la fleur est le reflet de l’autre dans un miroir). En particulier, alors que les trois sépales restent semblables, deux des pétales se sont atrophiés au profit du troisième, qui a acquis une morphologie particulière liée à ses fonctions dans la pollinisation et que nous verrons plus loin. Ce pétale particulier est appelé le labelle. Pour ce qui concerne les organes reproducteurs, ils sont soudés en une colonne appelée gynostème, qui fait face au labelle. Chez les Orchidées de nos régions, des 6 étamines d’origine, seules 3 subsistent, dont une seule est fertile (sauf chez le Sabot de Vénus qui a deux étamines fertiles), les deux autres étant réduites a des points staminodaux à peine visibles. L’étamine fertile porte à maturité du pollen rassemblé en deux masses appelées pollinies, qui sont parfois placées au sommet d’un pédoncule. Pour les trois stigmates, deux sont soudés en une surface stigmatique glutineuse, et le troisième a évolué en une excroissance plus ou moins développée appelée rostellum, située entre la surface stigmatique et les pollinies, et dont la fonction est d’empêcher l’autofécondation. Le sommet du rostellum comporte le plus souvent une substance visqueuse chargée de coller les pollinies sur le corps de l’insecte pollinisateur. Enfin, l’ovaire comporte une seule loge et est infère (situé sous la fleur).
2 La pollinisation : arnaque, crime et botanique.
2.1 Différentes stratégies de pollinisation dans le règne végétal :
La pollinisation, c’est le passage d’un grain de pollen depuis l’étamine d’une fleur, vers le stigmate d’une autre fleur de la même espèce, qui se retrouve alors fécondée.
Pour réaliser cette étape fondamentale de leur cycle de vie, les différents groupes de plantes ont recours à différents vecteurs parmi lesquels, pour ne citer que les plus importants :
le vent :c’est notamment le cas pour les Poacées, ou les Conifères
l’eau : beaucoup plus rare, il est évidemment le fait de plantes aquatiques, par exemple la Posidonie.
un animal pollinisateur : parfois une chauve-souris, le plus souvent un insecte
Pour s’affranchir de cette phase délicate, d’autres moyens de reproduction se sont également développés : autopollinisation au sein de la fleur, apomixie (développement des ovules sans fécondation), reproduction végétative (développement de nouveaux individus génétiquement identiques le plus souvent à partir des racines ou d’un rhizome). Dans ces deux derniers cas il ne s’agit plus de reproduction sexuée.
Nous allons maintenant voir l’illustration de ces différentes stratégies parmi nos Orchidées.2.2 Illustration des différentes stratégies de pollinisation parmi les Orchidées indigènes de France
Abordons tout d’abord les cas de reproduction non sexuée. On trouve déjà à ce niveau une diversité et une originalité inattendues.
Le plus classique est la reproduction végétative à partir de bulbes ou de rhizomes. Elle apparaît chez des espèces qui ont recours à une reproduction sexuée des plus classiques, elle est donc un complément, mais qui s’avère parfois plus efficace que la production et la dissémination de graines pour coloniser un milieu favorable. Ce type de reproduction se traduit par l’apparition de « touffes » de plantes qui sont génétiquement identiques. C’est notamment le cas pour le Serapias langue Serapias lingua, qui produit parfois de véritables « tapis de clones », ou le méditerranéen Orchis de Champagneux Anacamptis champagneuxii (= Orchis champagneuxii). Beaucoup plus original est le cas du Malaxis des marais Hammarbya paludosa. Chez cette petite et discrète orchidée, qui est strictement inféodée aux tourbières, à coté des fleurs on constate l’apparition de bulbilles sur le bord externe des feuilles. Ces bulbilles peuvent se détacher et alors se développer en un nouvel individu ! Notons au passage que si ce mode de reproduction peut paraître un excellent moyen de propagation, il ne compense pas les exigences écologiques très strictes de l’espèce, qui est extrêmement rare en France (Massif Central et Bretagne pour l’essentiel, retrouvée en 2000 dans les Vosges).
Sous un aspect plus banal, d’autres espèces se simplifient la vie en ayant recours à l’autopollinisation ou autogamie: le pollen de la fleur se dépose sur son propre stigmate, et la féconde. Cette reproduction est une forme de reproduction sexuée, mais non croisée. C’est notamment le cas chez l’Ophrys abeille (Ophrys apifera) : les pollinies sont fixées au bout de caudicules particulièrement fins qui s’incurvent sous leur poids. Elles entrent ainsi en contact avec le stigmate qui est situé en dessous.mouvement des pollinies chez Ophrys apifera
Chez certains Epipactis, comme Epipactis muelleri qui est présent dans les Vosges, le pollen a une consistance friable qui le rend impropre au transport par un insecte. Les pollinies se désagrègent dans la fleur et le pollen entre en contact avec le stigmate. De plus les pollinies sont dépourvues de glandes visqueuses qui permettraient de les fixer sur le corps d’un insecte. Parfois le phénomène d’autopollinisation est tellement poussé qu’il se produit dans le bouton floral, et on a même pu mettre en évidence chez certaines espèces des cas de floraisons souterraines (chez la Néottie nid d’oiseau, Neottia nidus-avis, chez le Limodore à feuilles avortées, Limodorum abortivum, ou chez l’Epipogon, Epipogium aphyllum, trois espèces possédant peu ou pas de chlorophylle)! On parle alors de cléistogamie.
Tout aussi rares sont les cas d’apomixie. Dans nos régions, seules certaines Nigritelles, orchidées des pelouses alpines, utilisent ce moyen de compenser le milieu extrême et la courte période de floraison qu’elles ont à supporter. Une cellule de l’ovule se transforme en embryon sans qu’il y ait de stimulation par un agent externe.
A coté de ces quelques originaux, les autres espèces ont recours à des insectes pour réaliser leur fécondation. On les dit entomogames. Mais là aussi, il leur a fallu échafauder des stratégies pour attirer le pollinisateur à elles, et nous verrons, du plus classique au plus évolué, que les moyens mis en œuvre atteignent des niveaux de complexité insoupçonnés.Le cas classique : entomogamie avec récompense pour l’insecte
La plante attire l’insecte en produisant une matière nutritive, le plus souvent du nectar, parfois le pollen lui-même. A l’intérieur de la fleur les pollinies sont placées de manière à ce que, lorsque l’insecte cherche à accéder à la ressource nourricière, il entre en contact avec le pollen qui se fixe à son corps. Lorsqu’il visite ensuite une autre fleur, un peu de ce pollen se déposera sur le stigmate, assurant la fécondation. L’inconvénient de cette stratégie, c’est qu’elle est partagée par énormément d’espèces, et que l’insecte qui emmène du pollen a de bonnes chances de le déposer ailleurs que sur un autre individu de la même espèce. Au cours de l’évolution se sont donc mis progressivement en place des adaptations de la plante à certains insectes, qui eux-mêmes ont pu s’adapter en retour à un nombre plus ou moins restreint de plantes. Il s’agit d’une coévolution, qui permet d’un coté à la plante d’augmenter la probabilité de voir son pollen arriver dans une fleur de son espèce, et de l’autre coté à l’insecte d’avoir accès à une source de nourriture interdite à d’autres. L’exemple le plus spectaculaire nous vient de Madagascar, où Darwin découvrit en 1862 l’espèce Angraecum sesquipedale, dont les fleurs portent un éperon de plus de 30 cm. Il prédit alors l’existence d’un papillon porteur d’une trompe de la même longueur et capable d’atteindre le nectar produit au bout de l’éperon. Il ne put découvrir cet insecte. Finalement, 41 ans plus tard, un papillon ayant cette morphologie fut découvert et baptisé Xanthopan morgani praedicta. Et c’est bien le pollinisateur de cette orchidée ! Plus près de nous, on peut constater des cas flagrants d’adaptation des fleurs à certains types d’insectes :
papillons nocturnes : les fleurs sont généralement pâles, blanches ou verdâtres, avec un labelle étroit et pendant (les papillons nocturnes se nourrissant en vol stationnaire n'ont pas besoin de plate-forme de repos); nectar dissimulé dans un long tube étroit, l'éperon, accessible aux longues trompes des papillons; ex. : les platanthères (genre Platanthera, dessin ci-dessous).
papillons diurnes : fleurs vivement colorées (roses, rouges …); odeur fraîche et agréable émise en pleine journée; labelle plus ou moins horizontal, servant de plate-forme d'atterrissage; nectar dissimulé dans un éperon: ex. : l'orchis moucheron (Gymnadenia conopsea), l’orchis pyramidal (Anacamptis pyramidalis).
guêpes : fleurs vertes, rougeâtres ou brunâtres; labelle pouvant servir de plate-forme; nectar facilement accessible (de nombreuses guêpes ont des pièces buccales courtes); ex. : la très commune listère (Listera ovata ) et les Epipactis (Epipactis helleborine, dessin ci-dessous).
abeilles : fleurs colorées de pourpre, de jaune ou de blanc; présences de guides à nectar (dessins visibles ou dans les ultraviolets pointant vers la source de nectar); odeur fraîche et sucrée; labelle pouvant servir de plate-forme; nectar plus ou moins dissimulé. Exemples : de nombreuxOrchis et Dactylorhiza.
Les dessins de pollinisateurs et de leurs cibles sont tirés de La Garance Voyageuse n°36.
Ces schémas standards d’adaptation sont appelés syndromes de pollinisation.
Deuxième cas dérivé du premier : le leurre visuel.
Certaines espèces ont l’aspect extérieur de plantes « programmées » pour attirer des insectes en mal de nourriture, et en ont tous les attributs : couleur vive, odeur, morphologie (éperon), etc. Mais elles ne produisent aucune substance capable de satisfaire le visiteur. Comment font-elles pour assurer leur fécondation ? Elles s’appuient tout simplement sur l’inexpérience des jeunes ouvrières d’abeilles qui, leurrées par leur aspect engageant proche de celui de plantes nectarifères (Lamiacées ou Fabacées), les visitent par erreur. Le taux de fécondation est bien moindre (de l’ordre de 10%, contre presque 100% pour Listera), mais suffisant pour le maintien de l’espèce. On peut citer l’orchis mâle, Orchis mascula, l’orchis militaire, Orchis militaris, de nombreux Dactylorhiza, comme étant dans ce cas.
Citons au passage le cas des Serapias. Les plantes de ce genre méridional ont leurs sépales et les pétales latéraux rassemblés en casque au dessus du labelle. L’ensemble procure un excellent abri aux insectes pour passer la nuit où en cas d’intempérie, insectes qui en allant de l’un à l’autre assureront la fécondation croisée !
Le magnifique Sabot de Venus (Cypripedium calceolus - dessin ci-dessous) abuse des insectes un peu à la manière des Arums (voir La Hulotte n°26 – pub gratuite). Son grand labelle a une forme de coupe resserrée dans le haut. Il émet une odeur qui attire de petits insectes qui finissent par tomber au fond. Les parois glissantes du labelle les empêchent de remonter, sauf en un secteur tapissé de poils facilitant l’escalade. Pour les orienter, la paroi du labelle est affinée en deux endroits et laisse passer la lumière, à la manière de deux fenêtres. Les insectes qui veulent ressortir sont obligés de passer entre le bord du labelle et les deux étamines, recueillant un peu de pollen au passage. Pour faciliter la pollinisation croisée, le parfum émis par le labelle est soupçonné d’avoir un effet enivrant sur les hôtes de la fleur. D’une part, les insectes intoxiqués mettraient ainsi plus de temps à retrouver la sortie, ce qui augmente leurs chances d’entrer en contact avec les pollinies ; d’autre part, les insectes ayant passé un moment somme toute agréable dans le Sabot, seraient plus enclins à se laisser piéger par une autre fleur et à assurer la fécondation d’un des joyaux de la flore française, malheureusement menacé.La technique utilisée par le Sabot de Venus, pour peu qu’elle soit confirmée, consiste en un détournement du comportement de l’insecte : il ne gagne rien dans l’opération, si ce n’est de passer un bon moment.
Ce détournement de comportement est exploité à l’extrême par un autre genre d’orchidées : les Ophrys.
Dans ce cas, la fleur est transformée en un véritable leurre sexuel. Observons sa morphologie : le labelle d’aspect velouté et de forme bombée a une consistance un peu charnue, il est muni d’une pilosité marginale plus ou moins dense, et au centre de zones glabres de forme et de couleur très variables d’une espèce à l’autre, formant la macule. Le labelle peut être entier ou plus ou moins divisé en lobes. Il présente parfois des reliefs appelés gibbosités. L’ensemble ressemble fortement d’un insecte, et c’est exactement le but recherché.Exemples d'Ophrys - Dessins tirés de La Garance Voyageuse spécial orchidées (Cf. bibliographie en fin d'article).
La stratégie des Ophrys est en effet à la fois simple dans son concept et compliquée dans sa mise en œuvre : la fleur imite une femelle d’insecte, et les mâles, passant de l’une à l’autre, se chargent de transporter le pollen.
Nous avons vu que l’aspect de la fleur est adapté à cette stratégie, mais l’adaptation est en fait beaucoup plus poussée. Constatant qu’une fleur séparée de la plante et masquée continue à attirer des pollinisateurs, des scientifiques ont procédé à l’analyse chimique de fleurs d’Ophrys. Oh surprise ! Ils ont pu y isoler des substances habituellement sécrétées par des femelles d’insectes au niveau de leur glande de Dufour, et qu’elles utilisent comme jalons sur leur passage pour guider vers elles les mâles. Ces substances sont des phéromones. Une étude récente menée sur L’Ophrys araignée (Ophrys sphegodes = Ophrys aranifera) et son pollinisateur, l’abeille solitaire Andrena nigroaenea, a montré que sur 15 composés sécrétés par les abeilles femelles et produisant une réponse au niveau des antennes des mâles, 14 se retrouvent dans les extraits de labelle d’Ophrys. De plus, les proportions relatives de ces composés sont tout à fait comparables chez la plante et l’insecte. Le fait que ces composés soient également présents, mais en proportions différentes, dans la cuticule des feuilles de la plante, alors que les feuilles ne sont pas attractives pour les insectes, semble prouver que leur abondance relative est fondamentale dans l’attraction des mâles d’insectes. Des tests complémentaires ont montré que parmi les composés étudiés, les alcènes induisent une réponse plus intense de la part des insectes (approche et tentative d’accouplement sur des « mannequins » imprégnés des substances à tester), alors que les alcanes provoquent des approches et beaucoup moins de tentatives d’accouplement. Or, la différence entre feuilles et fleurs d’Ophrys, c’est que les alcènes sont en proportions plus élevées dans les fleurs. Il apparaît donc que l’adaptation de la fleur d’Ophrys sphegodes à son pollinisateur a consisté en une modification des proportions relatives des composants de sa cuticule pour mimer le bouquet de phéromones produit par les abeilles femelles. Pour maximiser l’efficacité du procédé, après la pollinisation, la quantité de phéromones émise décroît globalement (économie pour la plante, et la fleur déjà fécondée devient moins attractive que ses voisines), alors que l’émission de composés ayant un effet repoussant sur les insectes augmente.
Parmi les différents composés émis par la fleur, tous n’ont pas la même faculté à être dispersés par le vent. Les plus volatils, qui sont également ceux qui sont les plus répandus dans les différentes espèces d’Ophrys, « battent le rappel » à longue distance. A ce moment, le pollinisateur ne répond qu’à un signal chimique, et va se rapprocher de la plante en remontant le vent. Lorsqu’il s’en rapproche, le signal chimique va se compléter de substances moins volatiles, ainsi que des signaux visuels dus à l’aspect du labelle : le signal devient de plus en plus typé et une sélection s’opère au sein des insectes attirés par la plante, seuls ceux d’une ou d’un petit nombre d’espèces finiront par se poser sur le labelle. A ce moment, des signaux tactiles se rajoutent aux signaux chimiques et visuels, dus à la position, la taille et l’orientation de la pilosité du labelle. Le mâle d’insecte, au comble de l’excitation, tente alors de s’accoupler avec ce qu’il croit être une partenaire : c’est la pseudocopulation. Selon la position adoptée par l’insecte sur le labelle, on va distinguer deux groupes d’Ophrys : chez les Pseudophrys, l’insecte se place la tête en bas et introduit l’extrémité de son abdomen dans la cavité stigmatique ; chez les Euophrys, il se place la tête en haut et l’introduit dans la cavité stigmatique. Le positionnement semble être guidé par la pilosité du labelle, et chez les Euophrys également par deux pseudo-yeux qui encadrent la cavité stigmatique, l’appendice plus ou moins développé situé au sommet du labelle, parfois d’autres parties de la fleur (pétales chez l’ophrys mouche Ophrys insectifera). Même si certaines espèces d’insectes pollinisent des Ophrys des deux groupes, elles se positionnent toujours de la même manière sur chaque espèce, après avoir testé aléatoirement toutes les orientations. La rencontre entre la plante et l’insecte mâle est facilitée par le décalage de l’émergence des mâles et des femelles : les mâles éclosent en effet avant les femelles, et, alors inexpérimentés, n’ont que des fleurs à se mettre sous la dent… ou plutôt sous l’abdomen !
Pseudocopulation de Argogorytes mystaceus sur Ophrys insectifera.
Les mouvements désordonnés de l’insecte vont faire qu’il va heurter les pollinies qui vont se coller à lui. Lorsqu’il finira par se lasser, il les emmènera avec lui, et pour peu qu’il se fasse piéger à nouveau, déposera une partie de sa cargaison vers une autre fleur. La pollinisation sera facilitée par la présence de mucilages à la base de la pollinie qui, en se déshydratant, phénomène accéléré par le déplacement d’air dû au vol de l’insecte, vont la faire passer d’une position verticale à une position horizontale. A son arrivée sur la deuxième fleur, la masse de pollen se trouvera idéalement orientée pour atteindre le stigmate pourtant logé au fond d’une cavité. On voit là combien est étroite l’adaptation de la morphologie de la plante à son mode de pollinisation ! La spécificité de la relation plante-insecte a cependant ses limites, comme en témoigne la fréquence relativement élevée d’hybrides entre les différents Ophrys, qui sont tous interfertiles. La proportion de fleurs fécondées au sein d’une population est par ailleurs faible, de l’ordre de 5 % pour Ophrys sphegodes.
Cette interfertilité des Ophrys, que l’on retrouve dans beaucoup d’autres genres d’orchidées, montre bien que le mécanisme d’isolement spécifique, sensé assurer le maintien de l’espèce, se situe au niveau de la sélection d’un pollinisateur préférentiel, sinon exclusif (isolement pré-zygotique = avant la reproduction). En cas « d’erreur d’aiguillage » par le pollinisateur, aucun mécanisme génétique n’intervient pour empêcher l’hybridation, alors qu’au sein d’autres familles le pollen d’une espèce qui arrive sur le stigmate d’une autre espèce du même genre ne pourra pas assurer la fécondation (isolement post-zygotique).
Conclusion :
Nous voyons donc que la pollinisation des orchidées de nos régions est à la hauteur de l’aura de mystère et d’exotisme qui entoure leur nom. Vous pensez peut être qu’après avoir eu autant de mal à se faire féconder, elles vont poursuivre leur cycle vital bien tranquillement ? Que nenni, leur germination relève de l’alchimie, où des aventures de Frankenstein. La suite au prochain numéro !Bibliographie :
Guides de terrain :
Les Orchidées de France, Belgique et Luxembourg, 1998 : ouvrage collectif sous l’égide de la Société Française d’Orchidophilie. Editions Biotope, collection Parthénope. Des photos magnifiques !
DELFORGE P., 2001: guide des Orchidées d’Europe, d’Afrique du Nord et du Proche Orient, 2ème édition. Ed. Delachaux et Niestlé. 485 espèces décrites.
F. GUEROLD & B. PERNET - A la découverte des orchidées de Lorraine - Ed Serpenoise -.Périodiques :
La Garance Voyageuse n°36 (hiver 1996) : spécial Orchidées
Terre Sauvage n°40 (mai 1990) p 70–77: Orchidée sauvage : allumeuse cherche butineurs
L’Orchidophile : publication de la Société Française d’OrchidophiliePublications :
POUVREAU A., COUTIN R., DESCOINS C., 1988 : la pollinisation des Ophrys (Orchidaceae) et le pseudo accouplement des Hyménoptères mâles ;Boll. Zool. agr. Bachic. Ser II, 20 p 37-60.
SCHIESTL et al, 1999 : orchid pollination by sexual swindle; Nature, vol 399, 3 juin 1999.
SCHIESTL et al, 2000: sex pheromone mimicry in the early spider orchid (Ophrys sphegodes: patterns of hydrocarbons as the key mechanism for pollination by sexual deception; J Comp Physiol A, 186: 567-574.
SCHIESTL F. P., AYASSE M., 2001: post pollination emission of a repellent compound in a sexually deceptive orchid: a new mechanism for maximising reproductive success? Oecologia 126: 531-534